Caroline Sardi et Nathalie Nicopoulos, Yes, they care!
Par Isabelle Boin-Serveau
A priori, au-dessus des berceaux de l’opticienne Caroline Sardi et de l’optométriste Nathalie Nicopoulos, les fées de l’optique se sont arrangées pour unir leur destin. Les deux cousines sont issues d’un tel bassin de talent dans le domaine que l’on a du mal à envisager qu’elles aient pu s’épanouir ailleurs. Pourtant, le chemin qui les a conduites à s’associer pour bâtir leur bureau Oh! Lunettes n’a pas longé la voie naturelle de l’héritage.
Le clan Laoun
Ni l’une, ni l’autre ne portent le nom de Laoun et pourtant, sur leur arbre généalogique figure le patronyme de ce clan d’opticiens bien implanté en Égypte qui, dans les années 1960, a choisi de quitter Alexandrie pour Montréal. Une autre famille parmi beaucoup d’autres qui a tourné le dos au régime de Nasser. Henri optera pour le territoire helvétique alors que Théo, Georges, Henriette et Hélène décident de traverser l’Atlantique. Cette fratrie-là a engendré des individus talentueux qui œuvrent pour la plupart en optique, formant ainsi une véritable lignée d’excellence au Québec.
C’est dans ce vivier exceptionnel que Caroline et Nathalie ont vu le jour, il y a quarante ans. Elles sont cousines germaines issues de la branche d’Henriette Laoun mariée à Nicopoulos, un Égyptien d’origine grecque. Jenny, la mère de Caroline, a uni son destin à Samir Sardi, opticien à Laval, venu lui aussi de la terre des pharaons. Son frère, Peter Laoun-Nicopoulos, père de Nathalie, est malheureusement décédé à l’automne 2011. Il était un opticien réputé et très apprécié qui avait pignon sur rue à Montréal depuis plus de 40 ans.
Passionnés, travailleurs acharnés, habiles commerçants, les Laoun laissent partout et toujours la trace d’un service à la clientèle irréprochable. Ils ont bâti, chacun dans leur secteur et à leur manière, une telle réputation que leur nom résonne très favorablement aux oreilles de nombreux consommateurs du Québec… et même d’ailleurs! Mais, au commencement de cette lignée, Georges, Théo et Peter Laoun-Nicopoulos (le fils d’Henriette) se sont associés à leur arrivée en sol québécois pour ouvrir ensemble un premier bureau sur la rue Jean-Talon, près du marché public, dans l’est de la ville de Montréal. Celui-là même où Peter a exercé sa profession jusqu’à son dernier souffle.
On n’échappe pas à son destin
Caroline l’avoue sans ambages, « je ne suis pas une femme de carrière. Moi, tout ce que je souhaitais lorsque j’étais jeune, c’était de voyager avec mon mari et d’avoir des enfants! ». Nathalie sourit, elle qui, au contraire, ne voyait rien d’autre que le travail en optique : « Depuis l’âge de 6 ans, j’ai grandi dans le bureau d’optique de mon père et au fil des années, j’ai occupé tous les postes… de la tenue des dossiers au choix des montures! » Même si Nathalie a pu caresser d’autres rêves, l’entrée à l’École d’optométrie de Montréal était une affaire entendue : « J’ai toujours été pragmatique. Oui, j’ai un côté artistique, je joue du piano, mais je n’aurais pas osé m’aventurer dans une carrière aussi incertaine. » Et puis, Peter Laoun-Nicopoulos a tellement démontré de fierté de voir une de ses filles se diriger dans l’optique. « Mais c’est ce que je voulais faire! », renchérit Nathalie.
Caroline, quant à elle, passe également beaucoup de temps dans le bureau de son oncle et dans celui de son père, Samir Sardi. Cependant, à l’âge des choix, elle se tourne vers la géographie qu’elle étudie à l’Université de Montréal. C’était sans compter sur un « destin qui est venu me chercher », puisqu’un jour son père la sollicite pour remplacer une assistante. Le temps inoculera la piqûre de l’optique à Caroline qui succombera à 25 ans en s’inscrivant au collège Édouard-Montpetit pour suivre la formation d’opticienne.
Pendant des années, Caroline et Nathalie travaillent dans les bureaux paternels. À chacune de leur rencontre, les deux cousines échangent sur leur profession et sur leur façon d’envisager leur travail. « Il était clair que nous partagions beaucoup de points communs et l’on se disait que ce serait le fun de travailler ensemble, un jour », raconte Nathalie. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres et il faudra attendre 2007 pour que leur souhait devienne une réalité. Par le biais de son oncle (de la branche paternelle), Caroline est informée qu’un local va se libérer sur le boulevard Marcel-Laurin à St-Laurent. Fini le temps des tergiversations : le cousines comprennent que le moment est venu de se lancer.
L’heure de tous les défis
Les pères de Caroline et Nathalie appartiennent à la génération dont le credo « my way or no way » prévaut. Immanquablement, les deux jeunes femmes ont respectivement vécu des tiraillements générationnels doublés d’un rapport d’autorité père-fille : « Cela n’enlève rien à leur qualité, mais nos pères ne nous voyaient pas comme des collègues de travail mais comme leurs filles… On avait envie de travailler à notre façon d’autant plus que nous avions la même approche de la pratique. On a quand même eu du mal à leur dire que nous allions ouvrir ce bureau! »
Avec Oh! Lunettes, Caroline et Nathalie se sont réellement émancipées en privant cependant leurs pères de leur rôle de protecteurs-pourvoyeurs : « Ils étaient contents et fiers de nous, mais ils étaient aussi déçus de se sentir abandonnés… Ce qui ne les a pas empêchés de nous aider beaucoup au début pour ouvrir les comptes, avoir des contacts avec le milieu et pour bénéficier de leurs conseils, etc. » En fait, elles constatent que leur saut vers l’émancipation les a même rapprochées de leurs pères.
Sentiment d’accomplissement
À l’instar de leurs géniteurs, commerçants dans l’âme, Caroline et Nathalie assument l’entière gestion de leur bureau, de la comptabilité à la gestion des ressources humaines. Caroline a pris en charge l’administration alors que, depuis le décès de son père, Nathalie partage son temps avec le bureau familial de la rue Jean-Talon.
Après les cinq premières années très satisfaisantes, Caroline et Nathalie constatent combien leur approche était semblable. Le contact privilégié qu’elles réussissent à établir avec leur client va bien au-delà d’une simple relation commerciale. Des liens d’amitié se créent… « Dernièrement, un de mes clients a passé 20 minutes à me parler de son père décédé… ce n’était pas lourd pour moi et cela m’a fait plaisir de l’écouter », raconte Caroline. Avec son incroyable expérience malgré son jeune âge, Nathalie ne se contente pas d’être une bonne clinicienne : « Je comprends les préoccupations du client par rapport à sa monture. Je connais tous les éléments qui vont lui permettre de se sentir plus confortable. Et puis j’aime entourer mon client… je vais même jusqu’à lui conseiller un type de monture! »
Pour se différencier de la concurrence, les cousines savent mettre à profit leur empathie naturelle en démontrant à leurs clients toute l’appréciation qu’elles éprouvent. « Oui, nous sommes intéressées par eux, et par la possibilité de trouver une solution à leur problème visuel. Pourquoi en avons-nous qui viennent d’Ottawa? Parce qu’ils ont envie de nous parler, de nous donner des nouvelles, et parce que c’est une expérience humaine, amicale, chaleureuse et familiale qu’ils viennent chercher ici. Et puis, les gens aiment aussi nous encourager », s’enthousiasment-elles de concert.
Oh! Lunettes concrétise leur besoin d’indépendance, mais aussi représente un bébé d’affaires sur lequel elles veillent jalousement. La prochaine étape? Réussir à constituer une solide équipe qui partagera leurs valeurs professionnelles et humaines : « Yes, we care! » Et qui pourrait ne pas être séduit par tant de dynamisme et d’humanité?