Par Isabelle Boin-Serveau
C’est dans le bureau au design très inspiré de VU (pour Vision Ultime) à Beauport que s’est déroulé la rencontre avec le jeune couple d’opticiens originaires de France. Certes, Isabelle Dalmon et Clément Fagès ne sont pas les seuls ressortissants de l’Hexagone à avoir choisi de vivre au Québec, tant la province sait séduire par ses qualités d’accueil, mais ils figurent sûrement parmi les plus chanceux à s’être intégrés aussi rapidement et aussi bien dans la société québécoise.
Une intégration parfaite qui doit beaucoup à leur ouverture et à leur manière passionnelle d’envisager l’exercice de la profession d’opticien. Et quand on a la chance d’avoir un ami qui s’appelle Richard Giguère et qui saura être là pour les aider à s’installer, on comprend que le destin d’Isabelle et Clément est placé sous les meilleurs auspices!
Dans la capitale française de la lunetterie
Tous les opticiens connaissent la petite, mais iconique, commune de Morez, située dans le Haut-Jura, qui abrite un musée unique au monde, celui de la lunette. Dans ce coin enserré au creux des plis du massif jurassien, se concentre la prestigieuse élite de la lunetterie française. Et là-bas, on ne badine pas avec les lunettes… Le lycée Victor-Bérard exige d’ailleurs de ses étudiants rigueur et discipline (presque militaire) tout au long des deux années que dure l’apprentissage en lunetterie. Outre l’enseignement de cette discipline, le lycée accueille des étudiants en génie optique qui percent les secrets de l’optique instrumentale ou de la photonique. Dans ce bouillon de culture, qui sait réchauffer les longues soirées d’hiver montagnard, Isabelle et Clément ont apprécié les exigences d’un enseignement strict tant ils avouent avoir été saisis, dès leur arrivée, par la contagieuse passion de la lunetterie. D’ailleurs là-bas, on ne tolère pas les élèves trop tièdes ou trop excités… De la mesure en toute chose et de l’art maîtrisé avant tout!
Le couple de trentenaires décrit avec enthousiasme son séjour d’études qui aura aussi vu éclore une relation amoureuse. Les yeux brillants, ils évoquent leurs passages fréquents dans les ateliers de manufactures lunetières (celles de L’Amy mais aussi de Morel, et d’autres plus petites) pour observer les ouvriers travailler, le minuscule laboratoire sous les toits d’une grange d’un coloriste génial, le son des tonneaux de polissage dans le froid glacial de l’hiver, les conversations animées entre les étudiants soudés par la même passion, le premier taillage à la main sans meuleuse électrique qui leur a permis de ressentir la résistance du verre, les inlassables répétitions manuelles pour parvenir à maîtriser le geste de l’artisan, etc. « C’était l’endroit idéal pour apprendre des choses qu’on ne voit nulle part ailleurs! » affirment-ils avec fierté. Parce qu’à l’instar de leurs camarades, ils partagent un attachement indéfectible envers leur école. Des camarades qui appartiennent pour la majorité aux grandes familles de lunetiers et avec lesquels Isabelle et Clément ont su tisser des liens serrés « même s’ils avaient bien sûr une longueur d’avance sur nous» puisqu’ils étaient nés dans le berceau de l’optique… Car, a priori, rien ne prédestinait Isabelle et Clément à devenir opticiens!
Les révélations : entre hasard et déboire
Clément doit tout au hasard qui a placé un bureau d’opticien sur son chemin au lieu d’une boutique de bijoutier : « C’était au secondaire, dans le cadre d’un stage de découverte en entreprise. Je me suis arrêté à la première boutique, celle de l’opticien avec lequel j’ai bavardé longuement. Il m’a accepté en stage et j’ai eu la révélation! Cela correspondait à mes aspirations : j’avais envie d’être en contact avec le public mais aussi de réaliser des travaux manuels… » Désormais, il était clair que l’adolescent, qui vit alors en Ardèche, ira prendre plus tard la route de Morez. Aujourd’hui, il l’affirme : « Je ne me vois pas travailler dans un autre domaine! »
Isabelle, qui a suivi ses parents dans le sud à Montpellier après avoir vécu en région parisienne, a toujours pensé devenir médecin. Malheureusement, après deux premières années en faculté de médecine, l’université ne l’autorise pas à continuer : « J’étais totalement déçue et vraiment déprimée… C’est alors que ma mère m’a parlé de l’École de Morez et m’a fait remplir un dossier d’inscription alors que je ne connaissais rien à la profession d’opticien. En fait, je n’avais même pas envie d’y aller… Et puis, j’appréhendais de m’y retrouver, moi qui ai toujours vécu dans de grandes villes…» Isabelle avait tort puisqu’elle aussi va développer une véritable passion pour la lunetterie. Aujourd’hui, elle l’avoue avec sincérité : « Je remercie la faculté de médecine de ne pas m’avoir sélectionnée! »
De l’apprentissage à la pratique
Ils savaient qu’ils ne sauraient « rien » en sortant de l’École… et que c’est « en forgeant que l’on devient forgeron ». Tous les deux séduits par la polyvalence de la profession, ils demeurent attachés à la noblesse du travail artisanal de l’opticien qui demande précision, dextérité et débrouillardise : « Il faut apprendre à apprendre, avoir de la patience et réfléchir sans cesse en fonction des situations… Nous exerçons vraiment une profession basée sur un mode transmission, car chaque opticien peut en apprendre d’un autre sur la base de son expérience personnelle. »
Diplômés en 1999 et mariés en 2000, Isabelle et Clément exercent séparément dans la région de Montpellier où ils se sont établis. Ils commencent ainsi à engranger des expériences uniques et multiples, dans des bureaux indépendants, mutualistes et dans des chaînes. Et lorsqu’ils se retrouvent le soir, c’est sur le thème de l’optique qu’ils échangent encore… Comme l’on dit au Québec, « ils en mangent »! Mais pour eux, ce n’est pas un problème : « Nous avons l’avantage de partager la même passion et de comprendre les problématiques auxquelles nous devons faire face… » L’un et l’autre constituent une vraie team axée sur un service de qualité et le respect du client. « Nous sommes capables d’expliquer la beauté d’un objet aussi essentiel qu’une paire de lunettes », disent-ils de concert, « peut-être parce que nous savons reconnaître le véritable travail et que nous pouvons expliquer au client les étapes de fabrication de certaines montures et souvent en justifier le prix. Les gens sont friands d’information! » Ils ne nient d’ailleurs pas avoir une considération puriste de leur métier dans laquelle l’attention et le temps consacrés au client ne sont pas « négociables ».
En 2002, leur fille Emma voit le jour et le couple semble destiné à s’enraciner dans l’Hérault. Quatre ans plus tard, l’opticien, chez lequel travaille Isabelle depuis plusieurs années, prend sa retraite. Pour le jeune couple, la perspective de reprendre le bureau est alléchante… en fait, Isabelle en rêvait. Cependant, l’affaire ne pourra se conclure faute d’entente sur le prix de vente. Face à cette déconvenue et puisque le marché de l’optique dans leur région s’avère saturé, Clément propose un départ vers d’autres horizons plus prometteurs. S’exiler pour le nord de la France? L’idée ne les séduit pas vraiment. C’est alors que Clément suggère le Québec en souvenir d’un voyage d’été effectué dans sa jeunesse. Isabelle est sceptique, « on avait une maison, de bons salaires »… mais accepte d’aller voir.
Le Québec, la voie de la réussite
C’est en cherchant des annonces immobilières à Québec que Clément tombe sur des annonces de l’opticien Richard Giguère qui possède, à ce moment-là, de multiples succursales dans la région de la Capitale nationale. Une adresse courriel suffira pour établir et entretenir le contact. Isabelle et Clément veulent faire un voyage de repérage, mais rien n’est encore très certain. Lorsque Richard Giguère et son épouse se rendent dans la région de Montpellier, Clément les invite pour faire connaissance. « Le courant est passé immédiatement! Quelques jours plus tard, on s’est retrouvé à Paris, au Silmo et on a passé la fin de semaine ensemble. Au-delà d’une rencontre avec un opticien c’était une amitié qui venait de se créer », explique Isabelle.
Richard Giguère sera là en 2007 pour les accueillir et leur faire visiter le Québec. Complètement séduits par les perspectives d’une future installation, ils tiennent à s’assurer que leur fillette de 5 ans embarque dans ce projet : « On lui a dit qu’on allait vivre différemment, moins travailler et passer du temps de qualité avec elle. Ici, il y a tellement plus de flexibilité dans les commerces. Et Emma a dit oui! » Dans l’avion qui ramenait la petite famille, un rêve était en train de devenir réalité.
C’est en juillet 2009 que commence l’aventure en Boréalie. Entre allers et retours à Montréal pour obtenir leur équivalence et le travail chez Giguère, les deux jeunes opticiens découvrent la société québécoise : « On a senti une belle ouverture. On s’est très bien acclimatés et nous avons vite créé un cercle d’amis… On a trouvé que la vie est plus simple qu’en France, que les relations entre les gens sont claires et puis, Emma s’est merveilleusement adaptée à cette nouvelle vie. Notre présence ici est une réussite à tous les points de vue! »
Aujourd’hui, ils travaillent dans la même succursale VU, une chaîne qui appartient à l’optométriste Éric Savard avec lequel le couple partage des valeurs centrées sur la qualité du service. Et demain? Isabelle et Clément se laissent guider par un destin qui les a si bien servis jusqu’à présent…