Par Frédéric Gagnon, O.D., FAOO et Marie-Christine Boutin, O.O.D., B.A.
Pour plusieurs personnes, les lunettes et les lentilles cornéennes souples de masse sont loin d’offrir une vision et un confort satisfaisants. Ces patients demandent des ajustements sur mesure et, heureusement, la technologie permet de plus en plus de leur offrir un confort et une vision nette sans pour autant qu’ils aient à faire de compromis. Pour arriver à ces résultats, les professionnels de la vue ont accès à différentes solutions. Qu’il soit question de lentilles cornéennes de spécialité ou d’interventions médicales, l’objectif est le même : satisfaire leurs patients.
Les lentilles cornéennes souples sur mesure et perméables au gaz (PAG)
Il existe plusieurs lentilles de spécialité sur le marché. Les Laboratoires Blanchard offrent un vaste choix, qu’il s’agisse de lentilles PAG ou encore de lentilles souples. Chacune d’elles offre des possibilités et des paramètres différents pour permettre aux patients d’être comblés visuellement. Certaines lentilles, comme celles de la famille des lentilles Rose K, ont été conçues pour s’ajuster aux kératocônes. Pour ces patients, ce sont de bonnes alternatives car les lentilles PAG donnent souvent une meilleure acuité visuelle que les lunettes ou les lentilles souples.
L’explosion des paramètres d’amétropies corrigées en lentille souple de masse a ralenti le marché des lentilles PAG ces dernières années. Il s’est ensuite stabilisé par la croissance du segment des lentilles de type scléral1. La Onefit semi-sclérale des Laboratoires Blanchard assure un bon ajustement, là où les lentilles PAG peuvent avoir de la difficulté à se centrer. Une autre lentille mais celle-ci sclérale a été lancée par Visionary Optics. La Europa Scleral offre jusqu’à six dioptries de toricité interne avec la possibilité d’inclure de la toricité externe pour corriger les astigmatismes résiduels causés par la flexion du matériel. Il est à noter que dans les cas de forts astigmatismes réguliers, les lentilles PAG de petit diamètre demeurent pour une correction optimale un meilleur choix que les sclérales sphériques.
Dans le milieu des lentilles de spécialité, le débat fait rage sur le meilleur choix de PAG : petit diamètre ou sclérale? Les sclérales se caractérisent par une certaine facilité d’ajustement qui permet de de faire face à plus d’irrégularités cornéennes comme dans les cas d’ectasies avancées ou de greffes de cornée. Le confort à l’insertion est tout aussi impressionnant, mais celui de fin de journée reste toujours à travailler. Ces lentilles génèrent peu d’échange lacrymal et peuvent causer des kératites associées à une stase lacrymale. Cette dernière peut être minimisée en demandant au patient de diviser sa journée de port en deux pour renouveler la solution saline utilisée pour la remplir. Lorsque les cas le permettent, il semblerait préférable, de choisir des lentilles semi-sclérales plutôt que des lentilles sclérales dont le diamètre est très grand et empêche un échange de larmes au limbe. Dans ce même ordre d’idées, les professionnels des lentilles de spécialité rappellent qu’il ne faut pas pour autant délaisser les lentilles PAG de petit diamètre. Lorsqu’elles sont ajustées en tandem (piggyback d’une lentille souple sous la lentille PAG), elles procurent un excellent confort et un sain échange lacrymal.
Les percées en chirurgies cornéennes
Lorsque les cas sont plus complexes et les ajustements plus difficiles, les patients peuvent avoir recours à diverses chirurgies afin d’améliorer leur condition. Puisque l’intervention n’est pas sans risques et que plusieurs patients nécessitent quand même le port d’une lentille PAG, les chirurgies de crosslinking cornéen permettent de repousser la greffe de cornée2. Le crosslinking permet de stabiliser dans le temps et éviter la progression du kératocône par l’utilisation de la riboflavine et des rayons ultraviolets pour solidifier les fibres de collagène de la cornée. Cette technique est en train de devenir un standard de traitement pour le kératocône. Il existe cependant une certaine controverse sur le fait qu’elle soit associée ou non à un léger traitement au laser PRK (kératectomie photoréfractive) guidé par le profil topographique. Cette technique aide à réduire l’irrégularité à l’apex du cône, diminuant ainsi l’astigmatisme irrégulier et permettant, dans les cônes débutants, d’éviter les lentilles PAG.
La greffe de cornée par kératoplastie pénétrante est parfois inévitable. L’ajustement en lentille est plus complexe et doit minimiser le contact avec la jonction du greffon en utilisant, soit à l’occasion une très petite lentille PAG à l’intérieur du greffon, soit une grande lentille sclérale permettant de passer par-dessus le greffon et sa jonction. D’autres techniques, telles que la greffe lamellaire antérieure (greffe de l’épithélium au stroma antérieur) ou la greffe de la membrane de Bowman, ont été développées avec l’espoir de minimiser l’astigmatisme irrégulier créé par les chirurgies. Ces avancées, espérons-le, permettront de faciliter l’ajustement en lentilles cornéennes tout en procurant une meilleure optique oculaire que la kératoplastie pénétrante.
Le marché de la pratique de lentilles cornéennes de spécialité
Avant de faire une intervention médicale ou un ajustement de lentille de spécialité, certains tests sont essentiels, telle que la topographie cornéenne qui permet d’être informé sur la courbure et le relief de la cornée. Dans chaque région, il faut s’informer pour connaître les bureaux d’optométrie équipés de topographes et de caisses d’essai de lentilles qui permettront de procéder à un bon ajustement pour ces patients. Ils ont des tâches visuelles à accomplir comme tous les autres et doivent être traités comme tel afin de maximiser leur vie active dans la société. Toutes ces options requièrent de leur part beaucoup de patience et une grande confiance en leur professionnel de la vue, puisque plusieurs rencontres sont nécessaires afin de trouver la solution adéquate pour chacun. De ce fait, des honoraires professionnels plus élevés seront justifiés et mieux compris par les patients. Ces cas bien particuliers représentent un défi pour le professionnel, mais ils lui amènent aussi une clientèle fidèle.
1. BENNETT, Edward. « GP Annual Report 2013 », Contact Lens Spectrum, vol. 28, octobre 2013, p.20-29.
2. GORE, D.M. et al. « New clinical pathways for keratoconus », Eye, vol. 27, mars 2013, p.329-339.