Lors de leur première entrevue avec Me Leborgne, Jade et Hugo se sont fait expliquer les différentes formes juridiques sous lesquelles ils pourraient tous deux exploiter leur clinique. Lors de cette deuxième rencontre, Jade et Hugo confient à leur avocat qu’ils ont pris la décision de posséder la clinique de façon commune, en partageant à parts égales les revenus et les dépenses. « Mariés en affaires comme dans la vie, quoi! » se surprend Jade à exprimer tout haut ce qu’elle se disait tout bas.
Me Leborgne, avec un sourire désarmant, prend un air sentencieux et rétorque à Jade « C’est très bien mais avez-vous songé au divorce? ».
« Voyez-vous, en affaires comme dans la vie, il faut se préparer au pire. Si vous optez pour une Société en nom collectif à responsabilité limitée[1] et comme nous l’avons vu lors de notre première rencontre, les biens des associés servant à l’exploitation de la Société[2] serviront d’abord à acquitter les créances. Vos biens personnels ne seront pas protégés advenant l’insuffisance des biens utilisés par la Société et ils y passeront. De plus, en cas de poursuite en responsabilité pour une faute professionnelle prétendument commise par l’un d’entre vous, seul le responsable de cette faute sera tenu d’indemniser. En cas de dispute ou d’insatisfaction entre vous, le départ de l’un de vous deux mettra fin à la Société. Il en sera autrement, si vous décidez plutôt de vous incorporer, c’est-à-dire de constituer une Société par actions[3] qui assurera les opérations de votre clinique et qui en détiendra les biens en pleine propriété. En l’absence de comportement frauduleux de ses administrateurs, la Société par actions (appelée communément « Compagnie ») constitue une protection efficace contre les recours et poursuites. Pour les membres d’un ordre professionnel autorisant la création d’une compagnie aux fins de conduire les opérations professionnelles de ses membres, cette protection ne vaut toutefois pas lorsqu’il s’agit de la protection du public. Autrement dit, le professionnel ne pourra éluder sa responsabilité (civile et/ou déontologique) derrière le paravent d’une compagnie. Par contre, si un de vos patients, affecté d’un grave problème de vision manque la première marche de l’escalier menant à votre clinique, il devra diriger sa poursuite contre la compagnie, et non contre ses administrateurs et actionnaires. Si les biens de la compagnie sont insuffisants, votre patient n’aura aucun recours contre vous, même si aveuglé par sa colère, il met tout en œuvre afin de vous en faire payer le prix. La compagnie pourra contracter une police d’assurances couvrant ce type de situation. Il est toutefois rassurant de se coucher le soir en se sentant à l’abri (relativement) des calamités de ce monde.
En cas de divorce à titre d’actionnaire, et comme vous aurez eu la prévoyance de vous prémunir d’une convention d’actionnaires, vous n’aurez qu’à suivre les dispositions applicables à la situation qui se présentera, seules les actions émises par la compagnie à chacun de vous étant en cause. La compagnie possède son existence propre et pourra continuer ses opérations en cas de rupture entre ses actionnaires, sans qu’il y paraisse. La convention d’actionnaires sert habituellement à régler les situations de décès, d’insolvabilité, d’invalidité, de mauvaises conduites ou de déloyauté, ainsi qu’à protéger un actionnaire de son co-actionnaire en empêchant ce dernier, par exemple, de s’émettre des actions afin de prendre le contrôle de la compagnie. Votre avocat travaille habituellement en étroite collaboration avec vos experts-comptables, seuls l’avocat ou le notaire sont autorisés à rédiger la documentation juridique telle les procès-verbaux d’assemblées, les résolutions et les conventions.
Jusqu’à tout récemment, il y avait des avantages fiscaux importants lorsque les professionnels choisissaient d’opérer en compagnie. Toutefois, au courant de l’année 2017, le ministre des Finances, Bill Morneau, a annoncé une réforme importante du système fiscal touchant les petites compagnies. En d’autres termes, l’aspect fiscal risque de rendre la constitution en société par actions moins alléchante. Ceci étant, tous les autres avantages demeurent et il est recommandé de discuter de la question de fiscalité avec votre expert-comptable ou fiscaliste, puisque les mesures annoncées ne sont pas encore en vigueur. »
Jade et Hugo quittent le bureau de Me Leborgne enthousiastes et rassurés du choix qu’ils ont fait d’opter pour une société par actions. L’avocat communiquera avec eux dans les prochaines semaines afin de leur faire signer les résolutions d’organisation de leur nouvelle société par actions ainsi que de leur soumettre un projet de convention d’actionnaires. Fiers de leur choix Hugo adresse un sourire tendre à Jade : « Reste seulement la question du bail à régler… »
Par Me Catherine Lamarche et Me Michel Trudeau
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[1] Vous devrez consulter la règlementation de votre Ordre professionnel afin de vous assurer des modalités applicables à la pratique de votre profession en Société de personnes.
[2] Une Société de personnes n’a pas de personnalité juridique au sens du Code civil du Québec. Elle ne peut donc être propriétaire de « ses biens ».
[3] Vous devrez consulter la règlementation de votre Ordre professionnel afin de vous assurer des modalités applicables à la pratique de votre profession en Société par actions.