Un beau matin d’avril dernier, Lim Hyeon-ju s’est levée, comme tous les jours, à 2 h 40 et a décidé, sans aucune préméditation, de briser sa routine : elle s’est maquillée vite fait bien fait, ce qui est considéré en Corée du Sud comme une faute professionnelle pour une femme, et, surtout, elle n’a pas mis… ses verres de contact. C’est ainsi qu’à 6 heures les téléspectateurs l’ont vu présenter les nouvelles sur la chaîne MBC, naturelle, une paire de lunettes sur le nez.
Les médias sociaux se sont aussitôt enflammés, certains s’offusquant d’un tel sans-gêne, d’autres louangeant une telle audace. Il faut savoir qu’en Corée du Sud il est rarissime de voir à l’écran des vedettes portant des lunettes, en particulier les femmes, même si les statistiques officielles indiquent que 70 pour cent des Sud-Coréens de moins de 30 ans ont besoin de se faire corriger la vue. Comment expliquer un tel tabou ? En partie par le fait que l’image d’une femme qui retire délicatement ses lunettes a une forte connotation érotique, aux yeux des Coréens…
Mine de rien, cette anecdote m’a fait réfléchir lorsque je suis tombé dessus : n’aurions-nous pas, nous aussi, le même tabou ? D’ailleurs, combien de fois avons-nous vu une journaliste télé porter une paire de lunettes ? Difficile à dire, mais sûrement pas loin de zéro… N’aurions-nous pas, vous comme moi, de curieux a priori à propos du port de lunettes au travail ?
Prenons un exemple, au hasard : on dit que les lunettes donnent une image d’intellectuel, voire qu’elles sont carrément un signe d’intelligence. À raison ou à tort ? J’ai eu la curiosité de creuser la question, et ce faisant, j’ai fait une découverte renversante que je vais me faire un plaisir de partager avec vous.
La publication scientifique Nature a diffusé ce printemps une étude de Gail Davies, professeure de statistique génétique à l’Université d’Édimbourg, associée à près de 200 autres chercheurs, sur l’impact de la génétique sur les fonctions cognitives de l’être humain. Pour simplifier, disons qu’elle a regardé si certains de nos gènes avaient une influence sur notre intelligence. Pour s’en faire une idée, elle a analysé et croisé des données sur plus de 300 000 Écossais, et a ainsi mis au jour le fait que 148 gènes avaient bel et bien une incidence sur nos capacités intellectuelles.
Or, l’un d’eux concerne la vue. Tenez-vous bien, il y a un « lien positif » entre myopie et intelligence, de surcroît il semble qu’il y ait – les données à ce sujet sont encore insuffisantes pour pouvoir être catégorique – un « lien négatif » entre hypermétropie et intelligence. Autrement dit, quelqu’un de myope a de fortes chances d’être, par la même occasion, quelqu’un d’intelligent (ce qui n’est pas forcément le cas, en revanche, pour quelqu’un hypermétrope).
Résultat ? Si vous êtes myope, vous avez tout intérêt à porter des lunettes au travail, car c’est là un véritable signe d’intelligence ! Et donc, un atout indéniable sur le plan professionnel.
Prenons maintenant un autre exemple : on dit que les lunettes permettent de faire bonne impression au premier coup d’œil. Est-ce vrai, ou pas?
Neil Handley est conservateur du musée du Collège des optométristes, à Londres. Ses travaux de recherche sur le sujet lui ont permis de découvrir que, longtemps, les lunettes étaient perçues comme un « accessoire médical trahissant une déficience visuelle », si bien qu’il était souvent mal vu d’en porter au travail. Et puis, il y a de cela une vingtaine d’années, il est devenu « cool » d’en porter, « ce qui est survenu parallèlement au succès planétaire d’Harry Potter », note-t-il. Ce que confirme un nombre croissant d’études, qui montrent qu’à présent le port de lunettes « inspire confiance », et mieux, « donne confiance en soi ».
Du coup, les lunettes contribuent vraiment à donner une bonne première impression ; et ce, tout simplement parce que ceux qui en portent se sentent bien avec et parce que ce sentiment-là influence inconsciemment les autres. Subtil, n’est-ce pas ?
« C’est bien simple, les lunettes sont à présent une arme secrète d’une redoutable efficacité, a récemment confié Neil Handley au magazine Pacific Standard. Car elles peuvent influencer le résultat d’un entretien d’embauche, ou encore la décision prise à l’issue d’une réunion d’affaires. »
La question saute aux yeux : à quoi bon se priver de porter des lunettes au travail ? Car, comme par magie, elles envoient le message qu’on est intelligent, compétent et fiable. Autant d’avantages à même de surmonter les éventuels a priori négatifs et autres tabous d’arrière-garde qui perdurent dans l’imaginaire populaire.
D’ailleurs, un signe ne trompe quant au changement actuel de mentalités à propos des femmes qui portent des lunettes au travail : à la suite du précédent créé par Lim Hyeon-ju, la compagnie low-cost sud-coréenne Jeju Air a modifié son règlement vestimentaire pour autoriser les hôtesses de l’air à porter des lunettes en vol, en soulignant que « plus le personnel de vol se sentait bien au travail, meilleur était le service offert aux passagers ».
Bref, n’hésitez plus, portez fièrement vos lunettes au travail, même si cela peut encore surprendre certains. Car vous vous révélerez plus heureux, plus efficace et, donc, plus performant !
Par Olivier Schmouker
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