Même si aucun détaillant, distributeur, fournisseur ne peuvent fournir de statistiques précises à ce sujet, le marché de la lunetterie destiné aux enfants semble avoir le vent dans les voiles. La clientèle qui constitue ce segment profite d’une offre croissante de produits de qualité et les différents acteurs de l’industrie de la vue multiplient les stratégies pour la séduire.
Depuis cinq ans, Roxanne Turgeon et Nathalie Couillard, toutes deux opticiennes depuis une vingtaine d’années sous l’enseigne de Grimard Optique, organisent une journée dédiée aux enfants. Elles font place nette de toutes les lunettes exposées dans leur boutique, située à Saint-Basile-le-Grand, pour mettre en scène les lunettes pour les petits. Cet événement qui survient juste avant la rentrée scolaire est très attendu et remporte un succès fou. Les parents attendent cette journée pour voir les nouveaux produits, rencontrer les distributeurs invités pour présenter leurs marchandises. « Nous avons eu cette idée, il y a quelques années et jamais nous n’avons cru que nous aurions un succès de cette ampleur », relate Roxanne Turgeon. Quant à sa collègue en boutique, Nathalie Couillard, les nombreuses petites familles à revenus moyens qui habitent dans cette localité semblent un des facteurs déterminants d’un tel engouement. « Durant cette période de l’année, 60 pour cent de nos prescriptions sont uniquement destinées à ce segment de marché. »
Selon statistique Canada, en 2017, la population de moins de 19 ans se chiffre à 7,9 millions de personnes, une augmentation de 1,2 pour cent par rapport à 2016. De plus, l’Association canadienne des optométristes mentionne dans ses statistiques que seulement 14 pour cent des enfants de moins de 6 ans reçoivent des soins de la vue professionnels1.
Beaucoup d’acteurs de l’industrie de la vue croient que la popularité de la tablette, des écrans et des jeux vidéo y sont aussi pour beaucoup sur l’augmentation de l’affluence des jeunes chez l’optométriste et l’opticien en dépit du fait que plusieurs études tendent à démontrer le contraire2. Nathalie Couillard demeure persuadée que les campagnes de sensibilisation réalisée dans les écoles, dans les médias sociaux et par l’Ordre des optométristes ont contribué largement à cette augmentation sensible de cette clientèle dans leur cabinet. Autre élément à considérer dans l’achalandage de cette clientèle, ce sont les prescriptions évolutives qu’il faut respecter en fonction de la croissance de l’enfant et qui nécessitent des visites à répétition chez le professionnel de la vue.
Guillaume Fort, directeur général d’Opal Canada, un fournisseur leader européen de lunettes pour enfant implanté au pays depuis un an et qui connaît un vif succès plus particulièrement au Québec et en Ontario abonde en ce sens : « Les institutions publiques de la province ont réalisé un bon travail de sensibilisation auprès de la population, en ce qui a trait à l’importance de la santé visuelle des enfants. L’examen gratuit en optométrie pour les moins de 18 ans et les assurances collectives permettent pour beaucoup de parents d’investir davantage dans de bons produits conçus et adaptés pour les enfants. »
La génération actuelle de parents apparait plus proactive en ce qui a trait à la prévention et au dépistage de problèmes visuels chez leurs petits amétropes, car ils sont aussi plus scolarisés.
Des parents plus soucieux de la santé visuelle de leur marmaille ?
Les publicistes et spécialistes en marketing les surnomment les milléniaux3. Ils se caractérisent par le fait qu’ils s’informent davantage et échangent beaucoup sur les médias sociaux avant de prendre une décision. « Ces parents ont besoin d’être rassurés pour bien choisir la monture qui conviendra à leur enfant et souvent c’est le petit qui sait mieux que quiconque ce qu’il lui faut comme modèle de lunettes », ajoute Roxanne Turgeon de chez Grimard Optique.
Richard Stortini, président de Groupe Optique Prisme, une entreprise de distribution de lunettes de designers décrit les jeunes parents d’aujourd’hui de la façon suivante : « Ils sont écoresponsables et se préoccupent de leur environnement, des phénomènes de société, de la pollution et des questions écologiques. Tous ses éléments font partie intégrante d’une philosophie de vie, d’un mode de vie. »
Une approche et une offre distinctive pour une clientèle aux besoins particuliers
Recevoir des enfants accompagnés de leurs parents demande beaucoup de temps, de diplomatie et de tact. Christine Breton, présidente-directrice générale chez Opto-Réseau, mentionne qu’en plus d’offrir différentes gammes de produits pour les enfants, pour tous les budgets et les besoins, il faut savoir aborder cette jeune clientèle souvent en proie à l’anxiété de performance lorsqu’il s’agit de lire des lettres au tableau de l’optométriste au cours de l’examen de la vue. « On offre une formation aux professionnels de notre entreprise afin qu’ils puissent offrir un service adéquat et comprendre le jeune client et le parent accompagnateur. »
À chaque âge sa monture
Jusqu’à trois ans, la monture en plastique est obligatoire. Le choix doit être guidé par la morphologie du visage : le positionnement sur le nez apparait primordial pour assurer une parfaite stabilité des lunettes sur le visage sans limitation du champ visuel. L’option des branches souples et flexibles semble un gage de confort et de résistance. La délicatesse de l’approche de l’opticien devrait faciliter le choix du modèle tout en tenant compte de l’avis du premier concerné : l’enfant, car il va sans dire que s’il choisit la monture qui lui plaît, il y a de fortes chances qu’il la porte ensuite!
Guillaume Fort rappelle que 65 pour cent des ventes réalisées par Opal dans 70 pays dans le monde visent le marché pour enfants. « Nos garanties de deux ans sur les montures sont exceptionnelles. Toutes les pièces échangées sont gratuites et nous ne demandons pas leur retour. »
Chez les fournisseurs de verres, les innovations des dernières années rendent le port de lunettes moins contraignant. Les garanties offertes par ZEISS ou Essilor, favorisent la fidélisation du consommateur. Alexandra Dreu consultante chez Dreu Consulting mentionne que « ZEISS a développé un programme pour les enfants de moins de 16 ans dans lequel sont offerts des lentilles et un revêtement de lentilles à prix forfaitaire. Ils sont offerts dans une multitude de matériaux pour lentilles avec des options de revêtement photochromiques ou polarisées. De plus, le fabricant offre une paire de lentilles gratuite en guise de remplacement, une seule fois dans les 16 mois suivant l’achat initial. C’est l’un des meilleurs programmes pour enfants sur le marché canadien. »
Essilor Canada propose, elle aussi, depuis déjà quelques temps, un programme de garantie limitée de 15 mois pour les 15 ans et moins valide après la date de réception de la paire de verres originale. Très utile lorsque la vision de l’enfant change et qu’il a besoin de verres avec une nouvelle ordonnance ou en cas de bris. Les verres sont fabriqués avec un matériau plus résistant aux impacts qu’un verre normal. Également, le programme offre un verre aminci pour convenir aux ordonnances plus élevées et inclut un verre antireflet Crizal qui protège des rayons UV. De plus, il existe un nouveau verre antireflet, le Crizal Prevencia, pour protéger les yeux de la lumière bleue émise par les ordinateurs, les iPad ou tout autre écran.
Est-ce que munir les verres de leurs enfants d’une protection anti-UV fait partie intégrante de leurs options? Surtout que l’on sait maintenant que les enfants représentent le segment de population le plus sensible au rayons UV et à la lumière bleue nocive, avec un temps d’exposition jusqu’à trois fois plus élevé que celui des adultes. Les yeux des enfants sont plus fragiles que ceux des adultes et leur cristallin laisse passer jusqu’à six fois plus de rayons nocifs que ceux des adultes4. Pourtant, beaucoup de jeunes parents résistent, car ils gardent en mémoire la première génération de verres TransitionsMD que portaient leurs grands-parents. « Ils ne sont pas conscients que les verres Transitions ont eux aussi évolué tout comme les appareils cellulaires au fil des années! Les verres photochromiques se sont développés et offrent une protection des plus adéquates pour les yeux des petits plus vulnérables aux rayons UV. Il y a certes une éducation à faire auprès d’eux pour les sensibiliser à l’importance de la protection des rayons solaires et à la lumière bleue. Les parents sont eux-mêmes cloués sur leurs appareils numériques et leurs enfants sont plus exposés que les générations précédentes aux écrans numériques » rappelle Patience Cook, directrice du marketing en Amérique du Nord chez Transitions Optical.
Lunettes idéales pour les petits
Depuis quelques années maintenant, les designers lunetiers proposent des lunettes faciles à porter avec de jolies couleurs, des formes agréables qui rappellent souvent les montures des parents comme chez Jean-François Rey, Float Kids qui a repris des modèles populaires et les a adaptés pour les petits. D’autres marques comme BBIG, Zoobug de Mondottica, KiIDOKO, Nano cherchent à rendre la monture ludique, amusante et spécifique à l’univers de l’enfance. L’abondance et la diversité du choix de montures ont renversé le phénomène de la honte associé au port de binocles chez les petits. Roxanne Turgeon souligne en s’amusant que « ce sont maintenant les autres membres de la famille qui pleurent de ne pas avoir eux aussi une prescription! » Toutes les grandes marques possèdent leurs collections comme Sàfilo, Westgroup, Marcolin ou Marchon.
Selon Diane Dépot, représentante au Québec des collections Kids & Teens de la marque Jean-François Rey, « il y a deux types de clients de lunettes pour les enfants : ceux qui cherchent des lunettes avec du style avec une gamme de prix de 169 $ à 250 $ incluant verres et montures et il y a les acheteurs qui recherchent une monture la plus économique possible. Malheureusement, souvent les montures les plus économiques sont celles qui font que ces clients se retrouvent souvent chez l’optométriste pour un réajustement ou pour des bris. »
Le designer David Beddok de la marque KIDOKO lunettes enfants et ados du groupe OKO Paris Lunetterie souligne toute l’importance qu’il faut accorder à la construction technique de la monture. « Il faut une charnière sur les branches qui permet l’absorption de la distorsion et facilite également la manipulation des lunettes par les plus jeunes enfants. OKO a réalisé une étude du comportement des enfants en matière de mouvements mécaniques de leurs yeux. Ils sont petits et évoluent dans un monde de grandes personnes; pour un plus grand confort visuel et une amplification de leur champ de vision, la taille des verres a été rehaussée pour mieux s’adapter à la morphologie des jeunes porteurs. »
Pour sa part, Richard Stortini rappelle que « les montures pour enfants doivent être créées et dessinées pour leurs visages. Les enfants sont très sensibles à la mode. Les matériaux et la qualité de fabrication sont les facteurs les plus importants pour nous et nos clients. Les enfants savent ce qu’ils veulent. Il ne faut pas lésiner sur la présentation du produit, car sinon on passe à côté de leurs attentes et donc de ventes éventuelles. »
« Il faut considérer toute l’importance de fabriquer des lunettes avec une face qui couvre, l’œil afin d’éviter que l’enfant regarde par-dessus les verres, rappelle Guillaume Fort. Nos produits sont conçus pour les enfants : face, pont, branches et charnières. Bien sûr, l’aspect visuel de la monture a son importance dans le choix du petit consommateur. Nous sommes licenciés Disney pour l’ensemble du Canada avec les marques Frozen, Spiderman, Avengers et Star Wars. Nous proposons aussi les fameuses collections Little Eleven Paris pour les enfants 8 à 14 ans et Eleven Paris pour les adolescents et jeunes adultes. »
Diane Dépot, mentionne que « pour la plupart des bureaux, la part du marché pour les enfants représente environ de 5 pour cent. Il y a quelques bureaux spécialisés pour lesquels ce chiffre s’élève à 30 pour cent. Les licences restent très présentes pour le segment du marché destiné aux enfants, mais les créateurs ont su trouver leur niche. »
La lunetterie pour les enfants demeure donc un incontournable au poids non négligeable. Plus ou moins développée selon les magasins, l’activité enfant reste cependant un indispensable. Bien sûr, s’occuper d’une jeune clientèle, c’est lui consacrer beaucoup de temps. À première vue, cette activité peut sembler peu rentable. Cependant, pour beaucoup de professionnels de la vue, les avantages économiques ne sont pas à négliger non plus, car cette activité demeure un moyen de capter la clientèle des parents et du reste de la famille.
1 https://opto.ca/fr/mois-de-la-sante-visuelle-des-enfants
2 À ce sujet, nous vous invitons à lire ou relire notre dossier paru en janvier dernier. https://www.envuemagazine.ca/2017/enVue01_2017/#?page=8
3 www.infopresse.com/article/2015/7/2/les-milleniaux-pourquoi-l-engouement
4 CIE 203: 2012 – A Computerized Approach to Transmission and Absortion Characteristics of the Human Eye – /April 2012 /-ISBN 9783902842411