Par Isabelle Boin-Serveau
Que fait-on lorsque l’on est une quadra dotée d’une énergie débordante, d’une expérience privilégiée sur le terrain de l’optique et d’une folle envie de partager sa passion? On fait exactement comme Marie Trudel, opticienne de Québec, qui a osé ouvrir son bureau dans la tourmente économique et qui fait taire ceux qui se plaisent à annoncer la mort de la pratique pour les opticiens indépendants… Au cours de notre visite, nous avons pu constater que tout semble aller pour le mieux dans l’entreprise joliment nommée MaVue Marie Trudel!
Il y a 10 ans, j’ai eu la chance de rencontrer le père de Marie, feu l’opticien Robert Trudel, dans son bureau situé sur la rue Marguerite-Bourgeoys à Québec. Sa fille a certes hérité de sa jovialité et de sa gentillesse, mais pas seulement, puisque sa façon de concevoir la profession demeure sous l’influence d’une molécule ADN à la fois semblable et différente.
Un milieu qui favorise la vocation
Marie est la seule d’une fratrie de deux enfants à éprouver un engouement pour l’optique : « J’avais une dizaine d’années et, l’été, je passais beaucoup de temps dans le bureau de mon père. J’aidais à l’emballage des lunettes destinées aux clients qu’il rencontrait durant ses expéditions dans le Grand-Nord… je préparais les fiches dactylographiées avec les adresses… enfin, je faisais tout un tas de petites choses. »
Les étés se sont succédés et l’intérêt de Marie pour cette activité ne s’est jamais émoussé malgré sa difficulté à accéder à la formation en orthèses visuelles « parce que déjà durant les années 1980, le cours était contingenté… ». Elle en profitera pour vivre d’autres expériences professionnelles, notamment au Nicaragua : « Là-bas, j’ai eu l’occasion de faire de la publicité à la radio pour des cliniques de santé. » Pendant ces deux années, elle aura non seulement pratiqué l’espagnol mais aussi développé très concrètement des approches de marketing.
À son retour au Québec, au début des années 1990, Marie Trudel intègre pour quelques années l’équipe du bureau d’optique Chapleau Laroche à Montréal. Elle saisit alors l’occasion pour réitérer sa demande d’admission au Collège Édouard-Montpetit afin d’y suivre le cours d’opticien : « J’avais 32 ans et il fallait que je prenne ce virage… » Même si elle avoue avoir ressenti un certain décalage avec les élèves plus jeunes, sa facilité d’adaptation lui permettra de passer au travers des trois années avec succès : « J’ai pris cela comme ça venait et je suis très contente d’avoir réussi à relever ce défi-là. » Elle fera son stage en terrain connu dans le bureau montréalais de Nicole Laroche et rejoindra ensuite le bureau paternel de Québec jusqu’au décès de Robert Trudel en 2006.
À la suite de cet évènement malheureux et de la fermeture du bureau, Marie Trudel offre le service à la clientèle depuis son domicile et assure les garanties sur les produits. Parallèlement, elle jette les bases de sa future entreprise et repère un local bien situé sur le chemin Ste-Foy. « Finalement, les choses se sont mises en place. Tout s’est très bien déroulé parce que j’étais bien entourée », atteste celle qui durant la même année a dû s’occuper de la mise en place de nouveaux équipements ophtalmologiques pour les services de santé de la Baie James :« Il fallait renouveler tout l’appareillage portable qui allait permettre de desservir toutes les communautés autour de Chisasibi. »
Expéditions entre les 49e et 55e parallèles
« Quand j’accompagnais mon père dans le Grand-Nord, il me montrait le soir comment il prenait les mesures pour effectuer les meilleurs ajustements de montures », raconte Marie Trudel qui a ainsi hérité d’un art de l’ajustement mis à l’épreuve tout au long d’une longue carrière d’opticien. Aujourd’hui, elle met en application ce savoir-faire aussi bien dans son bureau de Québec que dans les cliniques qui desservent les communautés du Nord-du-Québec.
« C’est en 2007 que j’ai soumis ma candidature à l’Université McGill pour obtenir l’autorisation de servir les communautés de la Baie James », explique l’opticienne qui a d’abord effectué ses expéditions en compagnie d’ophtalmologistes. « Mais avec le temps, il y a eu moins de médecins disponibles pour œuvrer dans ces cliniques mobiles et j’ai dû trouver des optométristes pour m’accompagner », souligne Marie Trudel qui, à l’heure actuelle, se déplace neuf semaines par année en compagnie de l’optométriste Alain Gélinas. Néanmoins, les services de santé des Cris bénéficient toujours de la présence d’un ophtalmologiste pour assurer les consultations.
Là-bas, Marie Trudel rencontre les communautés qui vivent à la Baie James et il n’est pas rare que certains de ses clients se souviennent de son père : « On prévoit nos visites en fonction du climat mais aussi des activités de ces populations comme les périodes de chasse ou de pêche. Ce sont de beaux liens qui se créent. Ils sont tellement attachants et chaleureux! Et c’est aussi une population très joyeuse et rieuse. »
Cette pratique sous ces latitudes extrêmes plonge l’opticienne dans un univers très particulier. « En général, nous communiquons en anglais, mais il y a toujours un interprète avec nous parce que certaines personnes âgées ne comprennent que la langue autochtone », rapporte Marie Trudel.
À la Baie-James, la jeune femme troque les talons hauts pour les bottes de fourrure et adore consacrer tout son temps à l’ajustement des lunettes et à la résolution de cas problématiques : « Morphologiquement, les habitants de ces régions ont les tempes arrondies et souvent brûlées par le froid. C’est pourquoi il est tellement important que les montures soient parfaitement ajustées. Ici ou là-bas, c’est toujours le confort des personnes que je vise. »
MaVue : sous le signe de la pluridisciplinarité
Pendant ses absences du bureau, Marie Trudel peut compter sur trois opticiennes compétentes, Martine Girard, Émilie Imbeault et très prochainement Geneviève Tardif, qui procurent un service de qualité séduisant à de plus en plus de clients. Et ce n’est pas un hasard si Marie Trudel a figuré parmi les trois finalistes du concours Transitions Academy 2012 : une nomination remarquable pour un bureau qui n’a que trois ans d’existence!
« Quand on veut dans la vie, ça marche! Et c’est comme cela que j’ai réussi à trouver les services d’un optométriste, Jean De Lorimier, qui a quitté Rivière-Du-Loup pour Québec. Et puis, j’avais envie d’offrir un plus à ma clientèle en proposant les services d’ophtalmologistes et un suivi important pour les personnes atteintes de basse vision. », poursuit Marie Trudel qui peut déjà compter sur la présence du Dr René Duguay et celle de Dr Richard Tourigny qui a d’ailleurs travaillé avec son père.
Nous le savons tous, les femmes en affaires sont exigeantes, mais elles ont une façon bien à elles de faire passer leur message : tout en art de convaincre et en joyeuse collégialité. C’est exactement de cette façon que les jeunes opticiennes de son bureau perçoivent Marie Trudel. « Elle nous implique beaucoup dans tous les aspects de notre profession et en plus, nous avons la chance d’être complémentaires! Nous formons une véritable équipe », mentionnent-elles avec chaleur.
« Moi, j’ai voulu avoir mon propre bureau parce que j’éprouve beaucoup de plaisir à travailler dans la précision et la minutie. Que ce soit pour mes clients dans le Nord-du-Québec ou ceux de Québec, j’y mets toujours la même passion », exprime Marie Trudel qui se remémore toujours les conseils paternels. Un père qui serait aujourd’hui encore plus fier de constater combien sa fille Marie élève son niveau professionnel et stimule son équipe dans sa quête de l’ultime degré de perfection. Marie Trudel n’a d’ailleurs pas choisi son slogan par hasard: Tout se mesure, tout s’ajuste à la perfection!