Par Isabelle Boin-Serveau
Dans sa maison de St-Ferréol-les-Neiges, située à deux pas des pistes de ski du mont Ste-Anne non loin de la ville de Québec, Jean Milot a généreusement accepté de troubler sa retraite pour accorder une entrevue. L’ophtalmologiste émérite n’est certes pas un inconnu pour les professionnels de la vue ni pour ceux qui s’intéressent au monde de l’optique. Après tout, il n’a renoncé à sa pratique que depuis seulement huit petites année.
Rien ne prédestinait particulièrement Jean Milot à embrasser la carrière de médecin. Issu d’une famille montréalaise modeste, il habite sur le boulevard St-Joseph mais passe ses étés d’adolescent sur les terres que possède son oncle à Rigaud. D’ailleurs, il prend plaisir au travail des champs : « À l’époque je disais en plaisantant que plus tard, je serai cultivateur ou docteur! » Grâce à ses prédispositions intellectuelles, Jean Milot est admis au cours classique. À l’évidence, la terre familiale devra se passer de ses bras.
À 15 ans, il fait un passage à l’Hôpital du Sacré-Cœur de Ahuntsic-Cartierville en tant que préposé au ménage : « Je me souviens que lorsque les docteurs arrivaient dans les couloirs, on nous demandait de nous cacher! » Précisons que nous sommes alors dans les années 1950 et que, pour l’heure, Jean Milot ne sait pas encore s’il deviendra médecin.
De médecin à ophtalmologiste
En 1956, le jeune homme obtient un bac ès Art à l’Université de Montréal et six ans plus tard, en 1962, un doctorat en médecine générale : «J’ai beaucoup apprécié la pratique générale d’autant plus qu’à l’Hôpital du Sacré-Cœur j’avais des privilèges en obstétrique.» De fait, il remplace les praticiens généraux durant les vacances et les fins de semaines.
Même s’il avoue aimer le contact avec les patients et les visites à leur domicile en tant que médecin généraliste, Jean Milot concède que cette pratique l’a aussi laissé insatisfait : « Lorsque j’avais de “beaux cas”, c’est-à-dire des cas complexes, je transférais mes patients à l’hôpital pour qu’ils consultent des spécialistes, lesquels par la suite, m’envoyaient un rapport détaillé. J’éprouvais alors une certaine frustration de ne pas pouvoir aller jusqu’au bout et de devoir me contenter de faire du dépistage.»
Jean Milot décide ainsi de remédier à la situation en se tournant vers une spécialité. Il hésite un temps entre la dermatologie et l’ophtalmologie : « Je ne voulais pas me lancer dans une spécialité essentiellement médicale ou chirurgicale et je trouvais que ces deux spécialités offraient la chance de pratiquer les deux. » Finalement, il optera pour l’ophtalmologie et fera ses premiers pas d’ophtalmologiste en 1967 à l’Hôpital Sainte-Justine de Montréal.
Dès 1968, Jean Milot exerce parallèlement sa pratique à l’hôpital d’Youville de Rouyn-Noranda : « Il n’y avait pas d’ophtalmologiste dans la région et je m’y rendais en avion trois jours successifs par mois excepté l’été. Là-bas, j’avais réservé des journées exclusivement consacrées à l’examen des enfants. » Lorsqu’une opération est nécessaire aux patients, ces derniers sont transférés à l’Hôpital Bellechasse de Montréal pour y subir l’intervention réalisée par ses soins. Au bout de trois ans, l’ophtalmologiste décide pourtant de passer le flambeau, les allers et retours hebdomadaires nuisant à sa vie familiale.
Naissance de l’ophtalmologie pédiatrique
C’est parce que Jean Milot suit une formation donnée par la Dre Susanne Véronneau-Troutman, strabologue renommée, au cours de sa résidence à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont, qu’il porte son choix sur l’Hôpital Sainte-Justine. « C’était vraiment le milieu pédiatrique qui m’a tout de suite intéressé et tout particulièrement les cas de strabisme », mentionne Jean Milot en précisant que le strabisme est un défaut oculaire fréquent chez les enfants et qu’à l’époque sa chirurgie n’est pas considérée comme une spécialité.
Il faut savoir que jusqu’à la fin des années 1960, la section d’ophtalmologie n’est qu’une composante du département de chirurgie. Jean Milot a mis tout son poids pour créer, dès 1972 à l’Hôpital Sainte-Justine, un département d’ophtalmologie indépendant dont il prendra la direction : « À l’époque, l’ophtalmologie qui s’adressait aux enfants était considérée comme moins sérieuse, moins importante… Il fallait toujours que nous démontrions son importance même devant nos pairs, alors que l’on reconnaît aujourd’hui l’importance des maladies oculaires pédiatriques, des anomalies congénitales, etc. »
Mais le Dr Jean Milot ne renonce pas à revaloriser sa spécialité et, en collaboration avec tous ses collègues de l’Hôpital Sainte-Justine, il se lie bientôt avec les ophtalmologistes pédiatriques du Montreal Children’s Hospital. Très vite, il comprend l’intérêt d’organiser des rencontres mensuelles avec eux afin d’échanger et de partager l’expérience de leur pratique auprès des enfants.
C’est sur ce modèle, qu’en 1976, Jean Milot fonde les Journées annuelles d’ophtalmologie pédiatrique de l’Hôpital Sainte-Justine: « L’objectif était de rassembler tous les ophtalmologistes pédiatriques non seulement de Montréal, du Québec, mais du Canada entier. » La première année, une soixantaine d’entre eux répondent à l’appel. Depuis, le rendez-vous annuel de ces conférences suscite un réel engouement parmi les ophtalmologistes pédiatriques nord-américains et européens. Car avec le temps et sans doute la persévérance de Jean Milot et de ses collègues, cette pratique est aujourd’hui reconnue comme une spécialité à part entière. « C’est certainement ma plus grande fierté », confie celui qui témoigne d’une authentique modestie.
Les défis outre-mer
Au-delà des recherches cliniques et des charges professorales, le parcours professionnel de Jean Milot se caractérise par une ouverture d’esprit et un goût de la découverte qu’il assouvira au cours de divers voyages à l’extérieur du Canada.
À titre de bénévole, Jean Milot effectuera un premier voyage d’un mois en Haïti en 1976 en qualité d’aviseur médical mandaté par la Fondation Roger Riou afin d’évaluer les conditions ophtalmologiques de l’Hôpital Notre-Dame des Palmistes de l’Île de la Tortue. Il repartira plus tard sur l’île, en 1985 avec l’organisme canadien Service universitaire canadien outre-mer (SUCO), en tant que membre volontaire du service administratif outre-mer pour le projet « 7491 Haïti » intitulé Training in Ophthalmic Care.
Deux ans plus tard, il embarquera encore avec SUCO pour un autre projet en Inde, à Madurai et à Manipal. Là, il côtoie l’extrême pauvreté, la grandeur d’âme et en revient fasciné : « Il y avait des centaines de personnes qui étaient examinées et opérées gratuitement. Lorsque les familles accompagnaient un patient, elles étaient logées et on s’attachait à leur montrer comment cultiver des légumes et faire un potager. » Jean Milot est émerveillé par la façon dont les Indiens s’occupent des plus démunis.
Un autre voyage très différent sera celui qu’il effectue en 1977 à l’occasion d’un contrat professionnel de 20 mois en Arabie Saoudite signé avec l’hôpital de King Abdul-Aziz de Tabuk. Jean Milot a obtenu plus tôt un congé sabbatique pour vivre pleinement une expérience aux antipodes de la pratique nord-américaine : « L’hôpital était un établissement militaire, mais nous devions traiter les militaires et leur famille. Or, là-bas, le concept de famille est horizontal et donc très large… de sorte que les bédouins venaient en très grand nombre. »
À l’ombre du mont Ste-Anne, le docteur Jean Milot et son épouse Brigitte coulent une belle retraite active qui se décline sur fond d’exercice physique et d’enrichissement culturel entre ski, randonnées pédestres et voyages à travers le monde. Mais la retraite n’empêche pas l’ophtalmologiste de s’adonner à sa passion des anecdotes reliées au domaine médical qui sont régulièrement publiées dans diverses revues1. Son plus beau succès « d’anecdotiste » (sic) est sans doute son article sur les effets des maladies oculaires sur la création des peintres. Et gageons qu’avec l’énergie qui anime Jean Milot de nombreuses anecdotes nous parviendront encore!